Les filles. Celles qui fascinent et qui dérangent. Celles qui, dans les années 60, sont coincées entre le rôle de pin-ups ou de parfaites fées du logis. Celles qui sont mal à l’aise dans leur peau et dans leur vie. Celles qui, en pleine crise d’adolescence, sont désespérément à la recherche de nouveaux modèles, d’émancipation et de relations humaines plus authentiques.
Evie Boyd fait partie de ces filles. Elle a quatorze ans et l’été lui semble bien long depuis qu’elle s’est disputée avec Connie, sa seule véritable amie. Lors de l’une de ses déambulations solitaires, elle tombe sur un groupe de filles atypiques, sauvages et libres. Evie tombe immédiatement sous le charme de Suzanne, la meneuse du groupe.
Très rapidement, Evie intègre ce groupe de filles qui vit en communauté sous la férule de Russel, leur leader charismatique. Inspiré du mouvement hippie, les filles de Russel rejettent les valeurs traditionnelles et le concept de famille. Elles organisent des fêtes où la drogue et l’alcool coulent à flot, volent dans les supermarchés et les poubelles pour se nourrir et enfantent des bébés dont elles ne s’occuperont pas. The Girls est le récit de l’emprise et du rejet brutal de la jeune Evie par ce groupe, juste avant l’impensable. Evie Boyd a 30 ans de plus lorsqu’elle nous raconte cette histoire, c’est avec le recul de l’âge et beaucoup d’auto-critique qu’elle nous décrit l’enfant qu’elle était et les différents événements de ce fameux été qui ont mené à l’assassinat de quatre personnes.
Malgré l’horreur et la violence, la plupart des protagonistes ne sont finalement que des adolescentes ordinaires prises dans un engrenage qui les dépasse. Sous ces airs sordides, The Girls est surtout une belle évocation de l’adolescence, dans ses bons et ses mauvais côtés.
Tout ce temps consacré à me préparer, à lire des articles qui m’apprenaient que la vie n’était en réalité qu’une salle d’attente, jusqu’à ce que quelqu’un vous remarque, les garçons l’avaient consacré à devenir eux-mêmes.
Russel joue parfaitement avec les codes de la puberté pour manipuler toutes ces filles à la recherche d’attention. Le sentiment d’appartenance à un groupe leur donne l’impression d’être protégées et invulnérables. Cette liberté soudaine les enivre et, parfois, elles perdent pied. Et pourtant, Russel, avatar un peu rudimentaire du tristement célèbre Charles Manson, manque un peu de consistance dans ce roman et cède totalement la place à Suzanne. C’est elle qui fascine Evie au point de la convaincre de faire n’importe quoi pour rester.
L’écriture est raffinée mais fluide grâce à un rythme parfaitement maîtrisé et un récit particulièrement bien construit. C’est avec beaucoup de déception qu’Evie, devenue une adulte craintive et solitaire, constate que les choses n’ont pas du tout changé en 30 ans pour les jeunes filles. Un livre encore terriblement d’actualité.
Emma Cline, The Girls, Editions 10/18, 2017.