Dans un futur proche, la mémoire mondiale numérique est arrivée à saturation. Être capable de gérer le stockage des données est devenu primordial, au point de créer un « Bureau des essentiels » chargé de supprimer quotidiennement les fichiers obsolètes pour que Mr. Tout-le-monde puisse continuer à poster ses photos de vacances sur Instagram.
Le critère de sélection ? L’audience. Qu’importe si 2001 : l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick est un chef d’oeuvre du 7ème art, si son niveau de consultation est trop bas, sa préservation n’est pas indispensable.
Yves est l’un des archivistes qui sélectionne les fichiers au taux d’audience les plus faibles, mais lorsqu’un fichier est condamné à être supprimé, notre héros a parfois des états d’âme. De temps en temps, il sauvegarde illégalement un film, un poème ou un documentaire, pour la simple raison qu’il les trouve beaux. Emy, son épouse, a peur des conséquences que ces petits actes de piraterie pourraient avoir sur leur famille. Sauvegarder des fichiers condamnés est un crime grave, et Yve ne semble pas évaluer les risques qu’il fait encourir à son couple et à Mikki, leur robot mère-porteuse qui mettra bientôt au monde leur petite fille.
Ugo Bienvenu profite de l’occasion pour mettre le doigt où ça fait mal. Dans notre société actuelle, basée sur la création constante de nouveau contenu, comment décider de la valeur des choses ? Comment sélectionner ce qui doit faire partie de la mémoire de l’humanité ou pas ? Et quelle utilisation fait-on de cette mémoire collective ? Roman d’anticipation, fable réalise, conte philosophique, critiques de nos sociétés ultra connectées, Préférence système est un savant mélange de genres.
Le dessin réaliste au rendu hyper géométrique apporte une froideur au récit, à l’image de ce futur aseptisé et superficiel que nous décrit l’auteur. La tension monte crescendo pour s’arrêter brutalement sur une fin aussi inattendue que magnifique.
Ugo Bienvenu, Préférence système, Editions Denoël Graphic, 2019.