Nord et Sud de Elizabeth Gaskell

Lire Nord et Sud, c’est un peu comme aller visiter sa vieille tante Augustine : on y va pour faire plaisir à la famille, mais sans grande envie parce qu’un après-midi coincé à manger des petits gâteaux et à boire du thé, ça ne vend pas du rêve. Sauf qu’une fois installé dans son canapé, il s’avère que tante Augustine est juste hyper cool et on n’a plus du tout envie de partir.

C’est en tout cas ce que m’a inspiré le roman d’Elizabeth Gaskell. Le début est lent, l’héroïne trop hautaine pour qu’on s’y attache totalement, et la bête fait tout de même près de 700 pages. Mais voilà, une fois qu’on a pris goût à cette ambiance industrielle anglaise, le charme opère et on se surprend à souhaiter que le roman ne finisse jamais.

Margaret Hale a passé une enfance heureuse dans un petit village tranquille du Sud de l’Angleterre. Quand elle y est arrachée à 19 ans pour s’installer avec ses parents à Milton, une ville industrielle du Nord, sa nouvelle vie lui semble bien terne et triste en comparaison. Elle y découvrira les conditions de vie précaires des ouvriers, la maladie, les luttes sociales et les grèves. Très vite, elle s’identifie à ces travailleurs épuisés et à leurs enfants affamés par les lois du marché. John Thornton, patron d’une usine de coton, deviendra pour elle le représentant d’une classe patronale sans éducation et sans coeur qui ne s’intéresse qu’à la rentabilité. Pourtant, John va peu à peu tomber sous le charme de cette orgueilleuse jeune fille qui n’a pas sa langue dans sa poche, ce qui l’obligera à remettre en question tout son mode de vie.

A mi chemin entre Orgueil et Préjugés et Jane Eyre, le roman a aussi un petit côté Germinal, même si l’analyse de la révolution industrielle et de ses répercussions sur les ouvriers est bien moins poussée que chez Zola. On y découvre notamment l’apparition de cette bourgeoisie issue de l’industrie qui prend le pas sur la noblesse traditionnelle. Le résultat est une incroyable fresque sociale du XIXè siècle anglais qui oppose le laborieux Nord industriel et le conservateur Sud rural, avec des touches de féminisme, de romance et juste ce qu’il faut de tragique. J’ai un véritable coup de coeur pour ce roman, et pour le personnage de John Thornton en particulier. Il s’agit d’un homme touchant dont la rigueur et la détermination contrastent avec ses moments de vulnérabilité et de générosité, surtout lorsqu’il est en compagnie de Margaret. C’est cette personnalité complexe qui rendra ses échanges avec l’héroïne, Mr. Hale et même l’ouvrier syndicaliste Higgins particulièrement intéressants. La psychologie de chacun des personnages, même les plus secondaires, est extrêmement bien travaillée et donne de la saveur au roman qui joue sur les confrontations : Nord/Sud, campagne/ville, agriculture/industrie, patron/ouvrier, homme/femme.

Et l’adaptation dans tout ça ? 

Vous l’aurez compris, Nord et Sud est un roman qu’on a du mal à abandonner. Je me suis donc lancée dans l’adaptation en quatre épisodes proposés par la BBC en 2004, avec Daniela Denby-Ashe et Richard Armitage dans les rôles principaux. Comme pour toutes les adaptations, l’histoire souffre de quelques ellipses pour garder le rythme et se concentrer sur l’essentiel : l’arrivée des Hale à Milton. La série est aussi bien plus centrée sur la relation entre Margaret et John, certaines scènes ont même été ajoutées pour multiplier les échanges entre les deux personnages. Mais dans l’essentiel, la BBC est restée très fidèle à l’oeuvre d’Elizabeth Gaskell et les quelques libertés qu’ils ont prises, comme par exemple sur la scène finale, ne sont vraiment pas pour me déplaire. Je la recommande donc à toute personne qui, comme moi, a eu du mal à quitter Milton une fois la dernière page du roman tournée.

Elizabeth Gaskell, Nord et Sud, Points, 2010. Coup de coeur

Note : 5 sur 5.

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